Friday, May 9, 2008

Claude Allègre sent-il le soufre ?


L’un des nombreux livres avalés durant le mois d’avril, pendant que j’essayais de me désintoxiquer de Second Life, fut le petit dernier de Claude Allègre, Ma vérité sur la planète.
Claude Allègre est pour beaucoup de gens non seulement quelqu’un de dérangeant, mais aussi d’antipathique, imbu de sa personne, trop sûr de lui et arrogant (et encore je ne cite pas tous les qualificatifs que l’on peut trouver à son encontre)
Par nature je me range toujours du côté des minoritaires quand ils sont attaqués sans véritable motif et qu’ils ont des idées intéressantes mais qui font désordre dans les communautés « bien-pensantes ».
C’est pour cela que j’ai voulu voir de quoi il retournait avec ce livre dans lequel Allègre conteste certaines idées généralement admises par la majorité (quel pléonasme, pardon !) et notamment celles sur le changement climatique et le problème de l’amiante.
D’après le consensus ambiant le changement climatique serait forcément dû à l’intervention des hommes et l’amiante serait tellement dangereux qu’il faudrait à tout prix procéder au désamiantage de tous les édifices en comportant et cela à n’importe quel coût ; il évoque également la psychose au sujet des OGM et la chasse aux sorcières à laquelle ils sont voués dans certains pays comme la France.
Je ne vais pas ici faire le résumé de ses thèses en vous donnant mon point de vue, je me contenterai de dire que j’ai trouvé ses arguments plutôt convaincants même si certains passages me laissent dubitative.
Je ne peux quand même pas m’empêcher de reprendre sa comparaison cinématographique que je trouve assez pertinente quand il qualifie le trio Hulot, Bové et Gore de « Le Bon, la Brute et le Truand »… c’était à peu près ce que je pensais avant d’avoir lu son livre, donc je ne pouvais qu’être d’accord avec lui !
Bon, je vais me fâcher avec certains de mes lecteurs à la fibre écologique mais tant pis, le consensus mou et le bêlement de mouton (transgénique ou non) n’étant pas mon fort, je prends le risque de me voir retirer mon agrément sur certains blogs engagés.
En fait je ne voulais pas parler d’écologie dans cet article, mais uniquement m’interroger sur le sort que l’on réserve dans l’opinion, et plus particulièrement dans la blogosphère, à certaines personnes qui ont au moins le mérite de l’ouvrir pour exprimer leurs idées.
Claude Allègre fait donc partie de ces empêcheurs de tourner en rond qui, par leurs prises de positions, semblent provoquer une agitation entrainant des commentaires désobligeants et bien souvent bien peu argumentés.
Afin d’en avoir le cœur net j’ai préféré revenir sur un évènement datant de 30 ans en arrière afin d’éviter les sujets trop récents et donc trop chauds, quoique…
J’ai choisi la polémique qui eut lieu en 1976 entre Haroun Tazieff et Claude Allègre concernant l’évacuation d’une partie de la population de Basse-Terre en Guadeloupe lors de l’éruption du volcan La Soufrière (vous comprenez le titre de l’article maintenant ?)
Pour schématiser à l’extrême, on reproche essentiellement à Claude Allègre d’avoir fait évacuer alors qu’Haroun Tazieff avait certifié qu’il n’y avait aucun danger, ce qui s’est révélé exact par la suite, donnant raison à Tazieff et vouant Allègre aux gémonies.
Que peut-on lire dans la blogosphère à ce sujet, 32 ans après, c'est-à-dire quand les cendres sont retombées depuis belle lurette et ont eu largement le temps de refroidir?
Il est important de bien cerner le sujet, car aujourd’hui encore beaucoup se gaussent de Claude Allègre en faisant référence à son passé et notamment à cette « erreur » de jeunesse afin de le discréditer.

Tout d’abord, je ne peux résister au malin plaisir de vous faire part de cet article posté par un brave monsieur écologiste qui s’est complètement planté dans sa vindicte anti Allègre, qu’on en juge : « … Directeur de l’Institut de Physique du Globe, il s’est fait remarquer et connaître par son opposition à Haroun Tazieff, célèbre vulcanologue, à propos du volcan La Soufrière en Guadeloupe dans les années 70. Haroun Tazieff craignait une éruption et préconisait d’évacuer les populations préventivement. Allègre assénait péremptoirement qu’il n’y aurait pas d’éruption. Que croyez vous qu’il arriva : La Soufrière est rentrée en éruption. Heureusement, les pouvoirs publics de l’époque avaient écouté H. Tazieff et mis en œuvre le principe de précaution…. »

Evidemment quelques internautes lui ayant fait remarquer qu’il s’était légèrement trompé, notre pourfendeur d’ « Allegrescu », comme il le nomme lui-même en référence à Nicolas Ceausescu, a légèrement rectifié le tir en reconnaissant « … J'ai en effet inversé les noms (et les comportements). J'ai écri trop vite et sans relecture. J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop car en effet cela ne change rien au personnage. »
Effectivement, cela ne change absolument rien au personnage, quoi qu’il fasse ou quoi qu’il dise Allègre n’aura manifestement pas les faveurs de cet individu.

Un petit peu plus sérieux maintenant, une jeune fille qui prépare un devoir sur le type d’éruption de La Soufrière ; elle obtient des renseignements de la part de personnes plus mesurées que notre précédent intervenant.

On y lit notamment dans les commentaires : « … ça a été le théatre d'une bataille homérique entre les anciens (Tazief) et les modernes (Allegre).... chacun étant persuadé d'avoir raison (mais la communauté scientifique française n'en était pas sortie grandie)... évacuer, oui, non... » et « … étant donné le potentiel destructeur...mieux vaut ne pas trop hésiter à évacuer...mais les conséquences économiques se ressentent encore aujourd'hui dans les zones évacuées à l'époque… »
Comme on peut le voir, le débat ici est plus serein et tente de rester sur le terrain de l’objectivité sans entrer dans la polémique, mais il faut dire que les commentateurs semblent être des personnes qui connaissent leur sujet et écrivent en connaissance de cause en demeurant prudent sur le sujet purement « humain » qui opposait Tazieff à Allègre.

Maintenant quelque chose d’étonnant, je suis tombée sur un site faisant le portrait astrologique d’Haroun Tazieff, donnant des informations relativement objectives sur le sujet !

Oui je sais, ça ne fait pas sérieux, cependant on peut lire dans l’article « … Éruption de la Soufrière
Suite à des manifestations inquiétantes du volcan de la Soufrière en Guadeloupe en 1976, une violente polémique opposa Haroun Tazieff, Michel Feuillard, directeur de l'observatoire volcanologique de la Guadeloupe, et Claude Allègre, alors son supérieur à l'Institut de physique du globe de Paris. Tazieff tenait l'éruption pour bénigne, tandis que Feuillard, Allègre et le professeur Brousse, partis sur place, conseillaient l'évacuation de 70 000 habitants proches, ce qui fut décidé par les pouvoirs publics. Le volcan se calma sans provoquer de dégâts. Tazieff se basait sur la température des gaz et l'absence de verre volcanique frais dans les cendres rejetées par le volcan pour affirmer que le volcan allait se calmer et qu'il n'y avait aucun risque de nuées ardentes, contrairement à ce que pronostiquaient Claude Allègre et le professeur Brousse.

Dans le cas du mont Saint Helens, en 1980, Haroun Tazieff avait jugé ce volcan inoffensif et l’avait qualifié de “petite Soufrière”, l'explosion spectaculaire survenue le 18 mai de la même année, tuant 57 personnes, donna tort à Haroun Tazieff… »
Ainsi j’appris que Tazieff n’avait pas toujours eu raison et qu’il pouvait lui aussi se tromper et causer indirectement la mort de personnes qui auraient pu être évacuées si le « principe de précaution » avait été mis en œuvre…

Comme j’avais une confiance relative dans ce site « astro » j’ai été rassurée par l’article deWikipédia sur Claude Allègre où l’on peut lire « … En 1976, après être devenu directeur de l'IPGP, il est amené à préconiser, lors du réveil du volcan la Soufrière en Guadeloupe, l'évacuation d'urgence de la population par crainte d'une éruption avec nuées ardentes, s'opposant au volcanologue Haroun Tazieff qui diagnostique à juste titre une simple éruption phréatique. Le même diagnostic porté plus tard par Tazieff sur l'activité du mont Saint Helens se révèlera erroné… »

Dans l’article sur l’éruption du mont Saint Helens en 1980 il n’est pas fait mention du nom d’Haroun Tazieff, on peut cependant avoir des détails : « … On dénombra 57 morts (dont une personne âgée du nom de Harry Truman qui a refusé de quitter sa maison et le géologue David A. Johnston). Des milliers d'animaux furent tués… » ; difficile dans ces conditions de dire quelle était la responsabilité réelle du célèbre volcanologue…

Mais plus étonnant encore, voila que de fil en aiguille j’arrive sur le site Planète sans visa tenu par un journaliste, Fabrice Nicolino, qui met Allègre et Tazieff dans le même sac, les taxant tous les deux d’incompétence ! En tout cas il confirme que Tazieff s’est bien trompé sur le Mont Saint-Helens et semble dire qu’il a eu de la chance au sujet de la Soufrière…

Petit problème pour moi, son article est trop polémique et me parait basé davantage sur des suppositions ou des reprises d’informations venues d’ « on ne sait d’où » plutôt que sur des faits concrets ; à prendre par conséquent avec des pincettes.

Cela dit d’autres sites que je ne citerai pas pour ne pas surcharger mon blog reprennent l’information de la mauvaise appréciation d’Haroun Tazieff concernant le Mont Saint-Helens, autrement dit la volcanologie est une science délicate et même de grands spécialistes peuvent se tromper ; dans ces conditions peut-on vraiment reprocher aux « autorités » d’avoir procédé à l’évacuation lors de l’éruption de la Soufrière ?
Ce qui est assez comique c’est qu’il s’agissait alors d’appliquer le principe de précaution qui figure maintenant dans la Constitution française ! Ce qui veut dire qu’aujourd’hui un « Haroun Tazieff » pourrait assurer à qui veut l’entendre qu’il n’y a aucun risque, l’évacuation serait ordonnée de toute façon, les « autorités compétentes » ouvrant leur parapluie selon l’autre principe bien connu du « chat échaudé qui craint l’eau froide ! »

J’ai quand même en fin de compte réussi à trouver un site apparemment sérieux retraçant l’historique des évènements ; normal, il s’agit du site de l’IPGP de l’Université de Jussieu!

Malgré l’avertissement dégageant l’Institut de Physique du Globe de Paris de toute responsabilité quant aux informations contenues dans l’article, on peut raisonnablement donner un poids plus important au docteur François Beauducel, auteur d’une thèse avec mention très honorable et félicitations du jury, qu’à tous les petits rigolos ayant donné leur avis sur la question.

Dans la chronologie on apprend notamment que, le 8 juillet 1976, la population, prise de panique, quitte la zone spontanément, alors que Claude Allègre n’a pas encore été nommé Directeur de l’IPG ; et c’est le préfet qui « … décide l'évacuation des établissements hospitaliers de Saint-Claude (1400 malades), puis, par mesure de sécurité, l'évacuation des établissements hospitaliers de Basse-Terre et des détenus de la Maison d'Arrêt, du 9 au 10 juillet 1976… »

Le 13 juillet toute une armada de scientifiques est présente et, bien que Tazieff juge la situation sans risque, «…Ce point est toutefois contesté par d'autres membres de l'équipe… » (Claude Allègre ne faisant pas partie de ladite équipe…)
Ensuite, Tazieff part pour l’Equateur après avoir envoyé une lettre au Préfet qui pourrait sembler inquiétante au premier abord : « … Je m'absente pendant plusieurs jours en Équateur. Faites venir d'urgence le Dr John TOMBLIN, directeur du Seismic Research Unit à Trinidad, meilleur spécialiste du volcanisme de l'Arc Caraïbe. [...] Je vous rappelle pour terminer qu'en cas d'aggravation du phénomène, le délai minimum dont vous disposeriez entre les premiers phénomènes indubitablement magmatiques et une issue qui peut être cataclysmale, est de 2' heures à quelques jours. »
Ledit John Tomblin, le 3 août, « … ne cache pas son inquiétude : depuis vingt ans qu'il étudie les volcans de la Caraïbe, il n'a jamais constaté de crise sismique aussi forte. Selon lui, l'activité sismique soutenue correspond à une tentative de remontée du magma et il conseille la plus grande prudence. Il indique enfin que le volcan de la Soufrière lui paraît du même type que la Montagne Pelée et capable, en puissance, des mêmes excès…. »
C’est alors que, le 8 août seulement, Claude Allègre entre en scène en étant nommé Directeur de l’IPG.
Je passe sur les détails, mais le 15 août « … Robert BROUSSE, John TOMBLIN et Michel FEUILLARD demandent un entretien d'urgence avec le Préfet. Ils lui indiquent qu'une nouvelle interprétation du phénomène s'impose, qui met en accord toutes les observations : « Tout se passe comme si du magma était monté depuis un an, signalé par cette crise longue et soutenue, la plus grande crise sismique enregistrée dans les Antilles. [...] Ce n'est pas la faiblesse de la poussée magmatique qui explique le dégazage relativement modéré, mais la présence du dôme même de la Soufrière, qui constitue un bouchon presque imperméable, prêt à sauter et à libérer une quantité énorme d'énergie. Il faut évacuer toute la zone dangereuse, car une nuée ardente dirigée peut frapper n'importe où. [...] Nous courons à la catastrophe. »
A noter qu’à ce stade là Claude Allègre n’a pas encore fait entendre sa voix…
Et là coup de théâtre !
« … 23 août 1976: Telex d'Haroun TAZIEFF adressé depuis Quito au Préfet, dans lequel il approuve la décision d'évacuation sans toutefois partager les conclusions de ses collègues sur l'imminence de la crise cataclysmale…. »
Je crois rêver, Allègre n’a pas encore dit un mot et j’apprends que Tazieff avalise l’évacuation prononcée par le Préfet sur recommandation des experts sur le terrain!
Et plus surréaliste encore, le 30 août « … Ascension de reconnaissance au sommet de la Soufrière, avec Haroun TAZIEFF, Claude ALLÈGRE, Guy AUBERT, François LE GUERN, John TOMBLIN, Marcel BOF et José ORTEGA… » dans laquelle Haroun Tazieff manque de périr à cause d’une violente explosion qui les a tous surpris ! Tazieff aurait dit : « Je n'en reviens pas d'être encore vivant…. »
En fait de polémique, il semble qu’elle ait plutôt eu lieu entre Tazieff et le Professeur Brousse qui aurait paniqué n’ayant « … jamais vu ni étudié une éruption volcanique auparavant… » d’après Tazieff ; Claude Allègre aurait alors, si j’ai bien compris, seulement « couvert » le peu expérimenté professeur, provocant l’ire de Tazieff et sa démission.
Plus loin on peut consulter un document sonore intéressant dans lequel Claude Allègre et Haroun Tazieff s’opposent dans un débat sur TF1.

On peut entendre un nombre impressionnant de « je crois » de la part du « vieux briscard » privilégiant l’expérience sur les mesures du « jeunot » Allègre…mais il est vrai que ce dernier « croit » également aux mesures, cela fait beaucoup de croyances de la part de deux personnes censées représenter la science et qui devraient par conséquent se contenter de « penser » et « réfléchir »…
Enfin, pour le cas du Mont Saint-Helens, en 1980, on apprend que les américains n’ont pas écouté Haroun Tazieff qui comparait le volcan à une « petite Soufrière » sans danger immédiat ; bien leur en a pris, car ils ont défini une zone d’exclusion, limitant ainsi le nombre de victimes à 57 « seulement », dont quelques scientifiques.
J’arrête là le compte-rendu de l’affaire que vous pouvez consulter dans son intégralité si le cœur vous en dit.

Ce que j’en ai retenu c’est la lutte de deux égos sur fond d’incertitudes scientifiques dans un climat de confusion générée par la peur de devoir subir d’innombrables pertes en vies humaines.

L’épisode ultérieur du Mont Saint-Helens démontrera la faillibilité du « vieux renard » Haroun Tazieff, quant à Claude Allègre, rien n’a démontré jusqu’à présent qu’il ait fait preuve de légèreté ou d’incompétence dans l’affaire de la Soufrière.
Ce qui n’empêche qu’on peut trouver le personnage antipathique, imbu de sa personne, trop sûr de lui et arrogant.

Mais est-ce une raison suffisante pour en déduire qu’il a tort sur tout ?

Et conclusion annexe que l’on peut tirer de tout cela : Attention à tout ce qui se dit et s’écrit sur quelque sujet que ce soit. Le doute doit toujours être présent, de quelque côté que l’on se trouve !


Peu de gens parlent du doute en doutant.
Blaise Pascal


Et

Malheureux, on doute de tout ; heureux, l'on ne doute de rien.
Joseph Roux


Et bienheureux les simples d’esprit…

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